L’air est-il si pur en Suisse ?

Article paru dans l’AERPEAmag n°294 du printemps 2023.

 

Si l’on parle quotidiennement des émissions de CO₂ et de leurs impacts liés au réchauffement, qu’en est-il des polluants de l’air rejetés chaque jour dans l’atmosphère ? Qu’elles soient chimiques, physiques ou biologiques, l’ensemble des émissions et immissions générées par les activités humaines comptent plusieurs effets néfastes et nécessitent d’être mesurées et contrôlées. C’est l’objectif de l’ordonnance sur la protection de l’air (OPair), entrée en vigueur en 1988.

Les sources de pollution de l’air

Les polluants sont des substances qui ont un effet néfaste sur la santé humaine, la faune, la flore et les écosystèmes. Un adulte inhale chaque jour près de 12 000 litres d’air, composé d’environ 99 % d’oxygène et d’azote et de 0.04% de CO2. Le pourcentage restant peut contenir divers polluants provoquant plus de 2 300 décès chaque année en Suisse. Ce chiffre est en baisse constante depuis que des mesures ont été prises pour améliorer la qualité de l’air, mais représente tout de même près de 5 % des causes de décès.

L’OPair donne des valeurs limites à la source, les émissions, et à la réception, les immissions.

Les émissions sont les quantités de polluants rejetées directement dans l’air par les activités humaines ou industrielles. Elles sont contrôlées et réglementées par l’OPair avec pour but de les réduire. D’autres émissions « naturelles » ne sont pas régies par l’OPair, par exemple les oxydes de soufre émis lors d’éruptions volcaniques, les poussières apportées par le vent, le méthane émis par la fonte du permafrost ou par de nombreux mammifères.

Les immissions, quant à elles, sont les concentrations de polluants dans l’air à un endroit et un moment donné, elles dépendent de facteurs environnementaux tels que la météo, la topographie et les modèles de circulation de l’air. Leur suivi permet de qualifier la qualité de l’air inhalé par la population. Sur le site internet de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), il est possible de consulter des cartes présentant les quantités actuelles des principaux polluants et de visualiser leur évolution au fil du temps. Les données sont également rapportées mensuellement et annuellement sous forme de rapport.

Selon le type de zone concernée (urbaine, rurale ou haute montagne), la nature des polluants présents dans l’atmosphère locale restera donc variable. Le tableau suivant présente les principaux polluants mesurés dans l’atmosphère, leurs sources et leurs possibles effets :

Figure 1 : Exemples de polluants atmosphériques, leurs sources et effets (Source : OFEV)

La concentration atmosphérique de la plupart des polluants a diminué depuis 1980, grâce à une prise de conscience collective de leurs effets et à des décisions technico-politiques très restrictives. C’est le cas par exemple pour la suppression du plomb dans l’essence, l’introduction de limites d’émission sévères (voitures, usines d’incinérations, etc) et la généralisation des catalyseurs. Ces mesures ont par exemple permis de réduire les oxydes d’azote, dont la teneur dans l’air est passée d’environ 60 µg/m3 en 1980 à environ 20 µg/m3 en 2021 en zone urbaine, en-dessous de la valeur limite OPair de 30 µg/m3. Provenant majoritairement des processus de combustion, la limite n’est plus qu’occasionnellement dépassée aux abords d’axes routiers très fréquentés. La deuxième figure compare les concentrations annuelles moyennes en dioxyde d’azote entre 1990 et 2021.

Pour l’ozone, polluant produit directement dans l’atmosphère par la transformation d’autres substances (il ne s’agit pas du même phénomène de production/destruction qui concerne la couche protectrice dans la troposphère), la tendance est toute autre. Sa teneur a sensiblement diminué depuis 1980, mais dépasse régulièrement la limite fixée par l’OPair, notamment durant les périodes où le smog estival recouvre la Suisse. Phénomène intéressant, l’ozone est moins présent le long des axes routiers et en zone urbaine, dû à la présence du monoxyde d’azote, qui le transforme en dioxyde d’azote, mais touche surtout les zones rurales.

Une autre classe de polluant présente fréquemment des dépassements de limites, les poussières fines (PM10 et PM2.5, soit les particules de diamètre de 10, respectivement 2,5 µm) et ce notamment à cause des épisodes de poussières du Sahara.

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Figure 2 : Comparaison des concentrations annuelles moyennes en dioxyde d’azote entre 1990 et 2021 (Source : OFEV)

Pour réduire les concentrations dans l’atmosphère, la priorité reste toujours d’agir à la source, soit au niveau des émissions, et ce avec l’aide de tous les acteurs concernés.A

Le rôle des autorités dans la protection de l’airA

L’OPair, en plus de définir les règles et les limites pour les émissions de polluants atmosphériques, établit les responsabilités des différents organismes impliqués dans la protection de l’air.

La Confédération joue un rôle de coordination et de supervision pour la mise en œuvre de l’OPair. Elle fixe les normes nationales pour les émissions et élabore les lignes directrices pour les cantons. La Confédération est également responsable de surveiller la qualité de l’air à l’échelle nationale et de fournir des informations sur la pollution de l’air à la population. En 1979, le réseau national d’observation des polluants atmosphériques — NABEL — a été mis en service. Il mesure, sur 16 emplacements représentatifs du territoire, les polluants pour lesquels des valeurs limites d’immissions sont fixées par l’annexe 7 de l’OPair. Son but est de contrôler que les mesures mises en place par les autorités sont suffisantes pour diminuer la pollution atmosphérique.

Les cantons, quant à eux, sont les principaux responsables de la mise en œuvre de l’OPair sur le terrain. Ils ont la responsabilité de surveiller les émissions de polluants atmosphériques dans leur territoire, de délivrer les autorisations d’émission et de prendre des mesures pour réduire les émissions de polluants. Les cantons sont aussi chargés de mettre en place des plans d’action pour améliorer la qualité de l’air et de sensibiliser la population aux problèmes de pollution de l’air.

Les communes peuvent également jouer un rôle important, en agissant sur le fonctionnement de leur propre administration et autres établissements ou en sensibilisant la population et les entreprises sur leur territoire. Le canton de Genève a par ailleurs établi un guide pratique à l’intention des communes, intitulé « Protéger l’air et le climat », il propose des recommandations liées à divers domaines d’action.

Les mesures prises pour améliorer la qualité de l’air

Depuis l’entrée en vigueur de l’OPair, de nombreuses mesures ont été adoptées pour limiter les émissions, d’une part en optimisant les procédés, d’autre part en installant des systèmes de capture. En voici quelques exemples :

  • Mise en place de système de filtration des fumées et de l’air vicié dans l’industrie
  • Mise en place du pot catalytique
  • Réduction du soufre et suppression du plomb dans les carburants
  • Interdiction d’incinérer les déchets à l’air libre

Tout cela n’a été possible que par le renforcement de la réglementation suivi par les avancées technologiques.

À l’heure actuelle, toutes les sources d’émission potentielles doivent être surveillées. L’OPair fixe de manière générale des limites selon le type de polluants, et indique également des prescriptions complémentaires pour certaines installations spéciales telles que les fonderies, les élevages, les usines d’incinération des déchets. Les exploitants ont l’obligation d’annoncer leurs émissions aux autorités.

Lorsqu’une nouvelle installation est mise en service, les autorités n’approuvent cette dernière uniquement si elle permet de limiter suffisamment les émissions. La première étape consiste à connaître la nature des polluants, leur quantité et les sources potentielles. Deux approches sont possibles, soit par des analyses réelles, soit par des bilans de matière. Il est alors possible de dimensionner et mettre des systèmes de traitement des polluants, comme des filtres à charbon actif, des colonnes d’absorption ou de lavage des gaz, des filtres à poussières, etc. Après la mise en service des installations, des maintenances doivent être planifiées pour un fonctionnement optimal. Les services d’exécution cantonaux procèdent à des contrôles périodiques, pour vérifier que les émissions sont conformes à l’OPair. La fréquence des vérifications est relative au type d’activités.

Dans certaines conditions, si les investissements demeurent trop importants par rapport au bénéfice environnemental par exemple, la loi autorise des dépassements des limites d’émission. L’OPair a été modifiée au 1er janvier 2023, pour que les cantons puissent prévoir, à titre exceptionnel, des limitations moins sévères des émissions. Cela est possible en cas de pénuries de produits chimiques utilisés pour le traitement des effluents gazeux. C’est le cas avec l’ammoniac et l’urée, employés dans le traitement des fumées, ils sont fabriqués à partir du gaz naturel dont l’approvisionnement reste incertain aujourd’hui en raison de la guerre en Ukraine.

Mais ces autorisations demeurent exceptionnelles et ne doivent en aucun cas constituer un prétexte pour diminuer les efforts.

Le problème du chauffage au bois

Cette période de risque de pénurie des énergies engendre une autre tendance, celle de l’augmentation des chauffages au bois dans les ménages. Considéré comme respectueux du climat et de l’environnement, ceux-ci peuvent cependant générer des substances nocives, s’ils ne sont pas correctement exploités. En effet, la combustion du bois reste souvent partielle, produisant de nombreux polluants. Méthane, protoxyde d’azote, monoxyde de carbone, composés organiques ou poussières fines n’en forment qu’une partie. En 2020, un quart des émissions des poussières fines (PM2.5) étaient dues à la combustion du bois, dont environ 40 % par le chauffage individuel.

Un des facteurs importants provient de l’utilisation de combustible inapproprié, tel que le bois usagé verni, le carton, les emballages plastiques. Pourtant la loi est claire sur le type de combustibles autorisés pour le chauffage (OPair, annexe 5, ch. 3). Le bois doit être à l’état naturel, non traité, approprié au type d’installation et sec. L’allumage du feu est également un facteur d’émission considérable, car il constitue l’étape qui génère le plus de poussière. La problématique est réduite lorsque les installations sont automatiques, l’allumage étant réglé par le fournisseur ou l’installateur. Dans tous les cas, l’installation doit faire l’objet d’un nettoyage et d’un entretien régulier par un ou une spécialiste.

L’association Energie-bois suisse a publié différents guides sur ces thématiques, permettant de prendre conscience des enjeux et d’appliquer les bonnes pratiques pour ainsi diminuer les émissions de son installation. Fin janvier 2023, l’OFEV a également édité un dossier thématique sur le chauffage au bois, disponible sur son site internet.

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Figure 3 : Selon l’OFEV, en hiver, les chauffages tournent à plein régime et sont souvent à l’origine de plus de la moitié de la pollution aux particules fines. (Photo : ky / OFEV)

Conclusion

Les évolutions des législations, des exigences sur les émissions et des techniques ont permis une amélioration très importante de la qualité de l’air, notamment en milieu urbain. Seules les personnes âgées se souviennent des smogs qui noircissaient les poumons des habitants et les bâtiments des villes européennes. Malgré tous les efforts fournis, il demeure néanmoins que les immissions résiduelles, même inférieures aux limites légales, ont des effets sur la santé.

Les conséquences des polluants atmosphériques restent souvent complexes, et indirectes. Elles peuvent même n’être découvertes que bien plus tard (comme dans le cas de la pollution des sols aux dioxines, à Lausanne). Or c’est une charge de plus sur le dos des autorités ou des industriels, qui ne peuvent malheureusement pas être experts en tout. Des mesures préventives doivent dès lors être favorisées aux mesures curatives qui présentent des coûts économiques et sociaux beaucoup trop élevés. L’accompagnement par des bureaux d’étude spécialistes de la thématique peut s’avérer profitable, si ce n’est, nécessaire.

La réduction des émissions de polluants atmosphériques est un processus continu qui nécessite l’engagement et la coopération de tous les acteurs impliqués, tant au niveau national que local.

Références

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